Hâte-toi lentement. Sommes nous programmés pour la vitesse du monde numérique ?
Hâte-toi lentement. Sommes nous programmés pour la vitesse du monde numérique ?
de Lamberto Maffei
Traduit de l’italien par Lucia di Bisceglie et Camille Zabka
Nous vivons dans un monde où le temps semble se réduire de plus en plus. Sous l’action de la technologie et de la marchandisation, nous sommes toujours connectés, sollicités à répondre et à réagir avec empressement à des courriels, tweets, SMS, vidéos, happés par une véritable frénésie visuelle et cognitive. Nous oublions que le cerveau a des mécanismes lents et, dans la tentative d’imiter les machines rapides, nous sommes confrontés à de nombreuses frustrations. La culture de la rapidité domine dans les relations et les décisions ; l’action immédiate l’emporte sur la réflexion. Même la politique et l’éducation subissent ce changement. Dans ce best-seller international, au style soigné et accessible, Lamberto Maffei, neuroscientifique éminent, démontre que c’est la nature même de notre cerveau qui n’est pas adaptée à cette précipitation. Il nous invite à redécouvrir les potentialités et les avantages d’une civilisation pratiquant la réflexion, basée notamment sur le langage et sur l’écriture, et à redonner la priorité au temps du cerveau plutôt qu’à celui des machines.
Lamberto Maffei est président de l’Académie des Lyncéens — la plus ancienne académie scientifique d’Europe — et professeur émérite de neurobiologie à l’Ecole normale supérieure de Pise. Il a été directeur de l’Institut de neurosciences du CNR (Conseil national de la recherche) et a participé à de nombreux travaux de recherche, notamment au Collège de France, au MIT et à l’université d’Oxford.
Sommaire :
Chapitre I. Tortues à voile
Chapitre II. La parabole du cerveau
Chapitre III. L’hémisphère du temps
Chapitre IV. Boulimie de la consommation, anorexie des valeurs
Chapitre V. La créativité
Extrait :
Roi pour l’éternité
Dans son livre Ontogeny and Phylogeny (1977), Stephen Jay Gould raconte une histoire qui montre bien la grande plasticité de notre cerveau, le fait qu’il reste durablement, voire pour toujours, enfant. L’histoire est reprise du livre de T. H. White The Once and Future King (La Quête du roi Arthur, 1958), dont le titre original renvoie à une phrase qui aurait été inscrite sur le tombeau du roi Arthur, Hic iacet Arthurus rex quondam rexque futurus (Ici repose Arthur, roi une fois et roi à l’avenir).
Le livre narre l’enfance et les hauts faits de roi Arthur et, dans la dernière partie, la création des animaux ; il est ici raconté que Dieu a créé initialement beaucoup d’embryons, puis qu’il les a appelés et leur a demandé quel type de caractéristiques et d’armes ils souhaitaient posséder pour leur vie et leur survie. Chaque embryon a choisi des caractéristiquesdifférentes, mais l’embryon de l’homme, lui, n’a rien choisi. Alors Dieu l’a appelé et il l’a invité de nouveau à choisir, mais l’embryon de l’homme a dit qu’il voulait rester tel qu’il avait été créé, un embryon, car si Dieu l’avait créé ainsi il devait y avoir une bonne raison. Dieu l’a félicité pour ce choix et il lui a dit qu’il resterait un embryon jusqu’au tombeau, mais que tous les autres animaux auraient une force d’embryons au regard de la sienne.
Voici expliqué pourquoi l’homme garde tout au long de sa vie des caractéristiques néoténiques comme la curiosité, la soif de connaissance et, jusqu’à un certain point, le comportement propre à l’enfant. D’un point de vue évolutif, ce choix a déterminé des ajustements assez importants comme la longue enfance et les soins des parents.
Le beau stratagème de l’enfance prolongée de l’homme a déterminé les dimensions de son cerveau ; en effet, la période de grande plasticité cérébrale chez l’homme, période critique, dure plusieurs années, alors que chez les animaux on la compte en semaines ou en mois. L’embryon de l’homme a décidé avec grand courage de passer une dizaine d’années à former son cerveau d’un point de vue fonctionnel et structurel ; l’évolution, heureusement, a rendu possible ce choix en inventant les attentions patientes des parents, en un mot,la famille. L’homme enfant a réussi, dans le bien et dans le mal, à dominer la nature. L’évolution a choisi, dans la construction du cerveau humain, la technique de la lenteur, et pour les autres animaux, au contraire, celle de la rapidité ; c’est peut-être pour cette raison que beaucoup de réponses du système nerveux rapide de l’homme ressemblent à celles des autres animaux.
La branche ascendante
Le cerveau se construit lentement au cours de la vie embryonnaire qui dure neuf mois chez l’homme ; la construction est en grande partie programmée par les gènes, même si les conditions du sac amniotique ont sans doute leur influence. Nous appellerons « cerveau des gènes » cette partie de la formation du cerveau.
Néanmoins, la construction continue aussi après la naissance, en particulier pendant la petite enfance, dans la période critique ou sensible, quand l’influence de l’environnement est primordiale. Le mot « construction », employé pour définir cette phase, n’est pas incorrect, puisque le cerveau forme de nouvelles synapses, de nouvelles connexions entre les neurones. L’environnement, au sens de l’expérience de chaque individu,devient un facteur décisif et il différencie l’esprit et le comportement, en déterminant ce qui peut être appelé « le cerveau de l’individu », c’est-à-dire celui que l’homme construit en vivant.
Cependant, il faut considérer que les expériences que vit l’enfant lui sont souvent proposées ou imposées par d’autres personnes, par exemple par ses parents. Après l’adolescence et à l’âge adulte, la plasticité du cerveau diminue, même si elle ne disparaît pas ; le cerveau peut encore subir des changements grâce aux stimulations qu’il reçoit du travail, de l’apprentissage, etc. Cette partie de la formation du cerveau dépend des conditions de vie, mais aussi de la volonté. Les mêmes considérations peuvent être faites pour la personne âgée qui voit sa plasticité cérébrale diminuer davantage. Les gènes définissent les chemins principaux, ils sont les planificateurs du cerveau, de la maison dans laquelle devront vivre les sentiments et les comportements. Et ceux qui habitent cette maison vont ensuite la personnaliser avec des rideaux, des couleurs et des meubles, vieux comme les souvenirs et nouveaux comme les connaissances, les rencontres et les voyages.
À la naissance, les neurones sont presque chauves, comme les nouveau-nés, mais leurs cheveux, c’est-à-dire leurs prolongements, augmentent avec le temps et partent à la recherche d’autres cheveux, d’autres neurones, pour former un réseau de communications assez complexe qui rend le cerveau opérationnel. Au début, les rencontres entre les prolongements des neurones sont guidées par des facteurs biochimiques et seules des conditions environnementales particulières (ou la pathologie) peuvent en modifier le plan.
Il existe des rencontres amoureuses entre les fibres, par exemple entre celles qui partent de la rétine et qui vont jusqu’au corps géniculé latéral, la gare vers laquelle le train du nerf optique se dirige. À l’arrivée, d’abord il y a de la confusion, puis des fibres plus chanceuses trouvent une correspondance et reçoivent leur récompense, par exemple grâce à des facteurs neurotropes qui les sélectionnent pour faire des connexions, des synapses. Il n’y a pas d’urgence dans la construction du cerveau.
Le miracle de ce processus réside dans la formation des synapses qui, rapidement, sont guidées par les stimulations provenant des récepteurs sensoriels, c’est-à-dire de l’environnement — et par « environnement » on entend tout, paroles, sons, images, caresses, alimentation et même maladies. Il est difficile alors de distinguer le cerveau de l’environnement ; ils forment un ensemble fonctionnel unique : le cerveau sans l’environnement dort et meurt, et l’environnement sans le cerveau qui le perçoit, tout simplement, n’existe pas pour nous.
Broché : 144 pages
Éditeur : FYP Éditions
Collection : Présence
Prix public TTC : 15 euros
Langue : français.
EAN 13 : 978-2-36405-137-9